Le caméléon des mots
L’écriture, quelle affaire ! - L’écriture est notre robe de caméléon, ses couleurs viennent de nous-mêmes ou du monde qui nous entoure, sans que nous puissions dire dans quelles proportions.
En mode majeur, les hommes tentent avec elle de rejoindre l’essentiel. Dans le silence des êtres, cette écriture là apparaît avec un bruissement de source. Elle dit la nature et les hommes. Elle écrit au présent le passé. Chant pour la vie, célébration. Dire le monde devient avec elle un acte sacré; écho de l’existence et du sens, hommage du périssable au durable, vibration de l’instant qui parle au temps qui s’accomplit sans jamais se passer. L’homme se redresse pour témoigner, démêlant ce qu’il ressent sans pourtant le comprendre, affirmant ce qui le dépasse et dont il vit.
En mode mineur, l’écriture ressemble à l’urticaire, plus on s’y intéresse plus elle démange. Il faut apprendre à composer avec ce mal incurable.
Les considérations sur l’écriture sont innombrables. Sur le mode faussement détaché on peut en proposer deux ou trois aux amateurs.
• Les choses graves étant éminemment insupportables, les éviter le plus souvent possible. On aura soin au contraire de jardiner dans le quelconque, d’arroser les parterres de platitude, de bouturer les anecdotes, de tuteurer l’accessoire, posant sur des fleurs en crêpe de Chine quelques coccinelles mécaniques du plus bel effet, du moins peut-on l’espérer.
• Au tout début de la presse populaire, vers 1868, Arthur Arnoult définissait avec lucidité les contours du nouveau journalisme : « Chers futurs abonnés et lecteurs rêvés, ma profession de foi sera simple, courte et claire : Mon opinion ? Je n’en ai pas. Mon programme? Je n’en ai pas. Ma couleur? Je n’en ai pas. N’ayant absolument rien à dire, j’ai pensé que c’était le moment de parler de tout. » Toute ressemblance avec la presse d’aujourd’hui serait bien entendu purement fortuite. « Parler de tout nous allons », disait d’ailleurs récemment Ioda dans sa conférence au dernier congrès des Archivistes Interstellaires.
• Concentrer son attention sur un point permettrait de dépasser les limites communes. C’est du moins l’opinion de Stefan Zweig dans Le joueur d’échecs : « Plus un esprit se limite, plus il touche par ailleurs à l’Infini». On voit bien que Zweig écrivait avant les médias sociaux et chat GPT.
• Aujourd’hui, le caméléon des mots procède à l’inverse. Toutes les directions lui conviennent; son œil globule sur des constats de proximité. Il semble n’être jamais parti et jamais revenu. Gonflé des milliers d’évidences de la recherche algorithmique il sait tout de tout et rien de rien.
Sur le reste, il s’interroge.