Mad Max à la Maison Blanche

Tremblez cloportes, pleurez limaces, l’équipe Mad Max-MAGA s’installe à la Maison Blanche. Son succès n’est pas garanti, bavures ou erreurs de tir sont à craindre. Le lance-flamme étant une arme terriblement efficace mais peu précise il faudra sûrement une voiture balai pour ramasser les dommages collatéraux.

Mais le fait est que le peuple américain a donné à Trump la majorité des voix des grands électeurs, la majorité du vote populaire, la majorité à la Chambre des Représentants. Nos défenseurs acharnés de la démocratie chez les autres n’y peuvent rien: la légitimité de ce nouveau président est indiscutable.

Sortez-nous du bourbier dans lequel nous nous enfonçons”, lui ont dit ses électeurs. Pour son second mandat Trump arrive à la Maison Blanche avec une équipe de gros calibres et met la démocratie US à l’heure du kick boxing.

Voilà un début d’article un tantinet (trop) robuste penseront certains. Je crois plutôt qu’il est conforme à l’air du temps, que ce soit aux États-Unis ou en Europe. Nous ne reverrons plus avant longtemps des duels à fleurets mouchetés, des discussions courtoises où l’on tient sa tasse de thé le petit doigt en l’air. Nos députés échangent des noms d’oiseaux, les commentateurs politiques se traitent mutuellement d’imbéciles. La France se casse la figure et si nous regardons avec une certaine angoisse ou un certain espoir le cirque Trump c’est parce que chez nous il s’agit plutôt du cirque Achille Zavatta et que nous avons hâte de voir comment cela se passe quand quelqu’un essaye vraiment de bouleverser le système en place. 

À bout de souffle

Des deux côtés de l’Atlantique un régime néo-libéral qui s’est installé puis renforcé au cours des 40 dernières années se retrouve empêtré dans les conséquences de sa politique, une politique dominée par son projet économique: aucun obstacle ne doit freiner la course au profit maximum. Les perdants du système sont aujourd’hui à la limite de ce qu’ils peuvent supporter et le font savoir. En France on leur vole leurs élections, aux États-Unis ont élit un homme à poigne qui veut faire le ménage.  Les États-Unis ne sont plus dans le déni quand la France et l’Europe le sont encore largement. Soit la France continuera de sombrer, soit elle connaîtra un “moment Trump” et on peut toujours espérer que les personnes qui incarneront ce sursaut n’auront pas les défauts que l’on reproche à la nouvelle équipe du crocodile de Mar-a-Lago.

La peur change de camp

La peur d’une contagion trumpienne gagne d’ailleurs nos super élites mondialisées. On le voit au ton des commentaires (plutôt robuste eux aussi) que l’on peut lire ou entendre dans les médias traditionnels. Si Le Figaro fait encore preuve d’une certaine retenue, Le Monde-Woke caricature systématiquement chaque membre de la nouvelle équipe. Ne parlons pas de ces chaînes de télévision dont la raison d’être est la défense des intérêts de leurs propriétaires, qu’ils soient privés ou étatique.

Même mon cher Financial Times se pince le nez pour évoquer, dans un article signé par son Comité éditorial (15.11.2025), des nominations qualifiées de dumbfounding, ce qui se traduit en Français par irresponsable, incompréhensible ou qui laisse pantois. Assez radical comme appréciation. Dans ce journal, Martin Wolf, chef des éditorialistes économiques du FT et membre éminent du Comité Éditorial, écrit généralement des articles ou des livres remarquables par leur hauteur de vue (lisez son dernier, The crisis of democratic capitalism, 2023) et il n’hésite pas à affirmer que globalement le capitalisme d’aujourd’hui menace la démocratie. Mais voilà, les revenus de ce grand journal sont indissociables de ceux de ses mandants, les grandes entreprises. Quand l’orage menace le FT perd un peu de son sang-froid; son dumbfounding ressemble au cri de Francis Blanche dans le film  Les Tontons flingueurs": “Touche pas au grisbi”!

Capitalisme de connivence et spoil system

De très gros intérêts économiques ont évidemment beaucoup à perdre avec le gouvernement Trump. Ceux-là feront tout pour lui barrer la route, peut-être “quoiqu’il en coûte” dans une version yankee de la devise macronienne.  En revanche d’autres secteurs seront favorisés, Trump n’est pas devenu un ange, il aura la vertu sélective. Avec lui le capitalisme de connivence connaîtra encore de beaux jours.

Attention toutefois : cette expression sert à stigmatiser les excès du copinage et des passes-droit au sein d’un petit groupe puissant; si on l’entend comme une condamnation du monde des affaires en général on se trompe ou on est de mauvaise foi. Il n’y a pas d’économie dynamique sans alliance de personnes ayant des intérêts convergents. L’affectio societatis est un moteur des affaires comme, à l’opposé, l’esprit de routine et la complaisance sont des moyens sûrs pour couler une entreprise et rendre souhaitable une “destruction créatrice” à la Schumpeter.

Toujours est-il que Trump a  déjà prévenu qu’il ne faudrait “pas toucher au pétrole” et, par ailleurs, certaines des nominations annoncées montrent que ses copains seront favorisés et ses intérêts personnels mis à l’abri des foudres de la Loi. Trump respecte donc deux traditions américaine. L’argent comme objectif ou moyen de la politique, et celle du spoil system (partage des dépouilles) instaurée par le Président Andrew Jackson (président de 1828 à 1832), que Trump admire tant. Jackson a été le premier a remplacer une fois élu le plus grand nombre possibles d’administratifs en poste par des hommes de son parti.

On voit que le lance-flamme trumpien risque d’arroser assez largement l’establishment américain. Dans un récent article, Charles Gave a bien résumé ce qui constitue la cible du nouveau Président. Ce sont, écrit-il, “trois groupes sociologique qui ont un intérêt commun à ce que rien ne change: ceux qui bénéficient de privilèges injustifiés, la partie non élue de la classe politique à qui ont été déléguées des fonctions régaliennes sans encourir la moindre sanction en cas d’échec, la classe administrative, dont le but est que tout change (en apparence) pour que rien ne change en réalité de façon à ce qu’elle garde le pouvoir”.

Deux exemples, celui de Robert Kennedy Junior et celui d’Elon Musk montrent à quel point les nominations de Trump sont susceptibles d’ébranler le système en place, pour ce qui est de l’économique comme du politique, du public comme du privé.

Robert Kennedy Jr.

Robert Kenndy Jr et la santé d’un pays malade

Pour commenter la nomination de Robert Kennedy Junior comme ministre de la Santé, Le Monde-Woke a choisi de titrer son article “ Complotiste, anti-vax, neveu de JFK, qui est Robert Kennedy Junior? “  (17.11.2024) On ne saurait être plus partial - et contraire aux valeurs officiellement défendues par ce journal - vis à vis d’un homme qui a lutté pendant 20 ans contre Monsanto, le fabriquant de Round Up et s’est engagé depuis des décennies dans la défense de l’environnement.

Donald Trump a justifié son choix en ces termes : «Pendant trop longtemps les Américains ont été écrasés par le complexe agroalimentaire et les laboratoires pharmaceutiques qui se sont livrés à la tromperie et à la désinformation en matière de santé publique ». On touche ici à la part populiste du programme de Trump,  celle qui se soucie du bien commun. Aux États-Unis comme en France, prendre au sérieux le bien commun est mal vu par les gens d’affaires comme et les gouvernants.

Kennedy Jr. affirme que son pays est très malade et toutes les statistiques lui donnent raison. Il en a cité récemment quelques unes dans un discours, à propos des enfants. Au Japon le taux d’obésité chez les enfants est de 3% , contre 50% aux États-Unis. 50% des Américains sont diabétiques ou pré-diabétiques. “Quand mon oncle était Président, a-t-il dit, un pédiatre voyait un cas d’obésité dans toute sa carrière. Aujourd’hui un enfant sur trois qui franchit la porte de son cabinet est diabétique ou pré-diabétique”. Il y a eu chez les enfants une explosion des maladies neurologiques induites par le diabète : en 2000, le taux d’autisme chez les enfants était de 1 pour 1500. Il est aujourd'hui de 1 pour 36.

Ajoutons quelques chiffres : les États-Unis dépensent plus de 4 000 milliards de dollars (3 680 milliards d’euros) par an dans la santé, ce qui équivaut à 16,6 % de leur produit intérieur brut (8,9% en France). Chaque Américain dépense 12 555 dollars par an pour sa santé, un Français 6 651 dollars. Depuis le premier trimestre 2023 les soins de santé sont devenus le premier poste de dépenses des Américains, devant le logement. Leur espérance de vie a reculé de 2,5 ans entre 2014 et 2021, avant de se redresser en 2022 pour atteindre à peine son niveau d’il y a vingt ans. Elle est presque inférieure de cinq ans à celle des économies avancées comparables telles que la France.

Kennedy affirme qu’il n’est pas anti-vaccin mais qu’il faut laisser le choix aux individus de se faire vacciner ou pas. Le jour où il a déclaré que le vaccin contre le Covid pouvait être à l’origine de l’autisme de certains enfants, il a été catalogué comme complotiste dangereux et cessé d’être fréquentable.

Contre Big Pharma et l’industrie agroalimentaire

Pour lui, les principaux coupables de cette situation sont la nourriture ultra-transformée et les produits chimiques toxiques, que nous absorbons sous forme d’additifs dans la nourriture, de médicaments pharmaceutiques ou de déchets toxiques de toutes sortes.

L’agro-alimentaire - À lui seul le secteur de l’alimentation et de l’agriculture contribue à hauteur de plus de 8,6 billions (1 billion représente 1000 millions de millions) de dollars à l’économie américaine , soutenant directement près de 23 millions d’emplois. On y retrouve , derrière le numéro 1 mondial Nestlé, des géants mondiaux du secteur comme Cargill (grain), Pepsico, Mars ou Tyson Food (viande). À travers des centaines de marques différentes ont leur doit le fait que 60 % de l'alimentation d'un américain adulte sont composés de produits ultra-transformés, comme les pizzas surgelées ou les bonbons.

BIG Pharma - Même s’il est moins concentré que le monde de l’agro-alimentaire, le secteur du Big Pharma américain comporte des leaders mondiaux comme Jonhson & Johnson (94 Mds de dollars de CA en 2022), Pfizer (52 Mds),Novartis (47 Mds) ou Bayer (52 Mds). Ils  se partagent un marché lucratif, particulièrement dans le domaine des vaccins. L’épidémie de COVID a permis au public de prendre conscience de leur marges de profit et de l’importance de leur chiffre d’affaire. Ils n’en sont pas devenus plus populaires. RFK Jr. a écrit dans une tribune au Wall Street Journal qu'il était favorable à un plafonnement du prix « afin que les laboratoires ne puissent faire payer substantiellement plus que ce que paient les Européens », soulignant qu’en Allemagne la cure d' Ozempic contre le diabète coûte moins de 10 % de ce que paient les Américains.

On ne peut que souhaiter bonne chance (et la vie sauve) à ce Robert Kennedy dans un tel combat. Chez nous les Agnès Buzy, Oliver Véran ou Emmanuel Macron n’ont jamais ne serait-ce qu’envisagé de mettre un frein aux dégâts sanitaires causés par l’industrie agro-alimentaire ou l’abus de position dominante du Big Pharma. Si Kennedy devait réussir dans sa mission, au moins en partie, la Macronie se verrait peut-être bientôt demander des comptes. Et peut-être aussi la kaiserin von der Leyen, compte tenu de ses accointances particulières avec Pfizer, avec qui elle a signé dans des condition obscures le plus gros contrat jamais conclu par la Commission européenne,  75 milliards de dollars.

                                          Elon Musk

Elon Musk : dégraisser le mamouth bureaucratique

Donald Trump : "Le Grand Elon Musk, en collaboration avec le patriote américain Vivek Ramaswamy, dirigera le “Département de l’efficacité gouvernementale”. Ensemble, ces deux merveilleux Américains ouvriront la voie à mon administration pour démanteler la bureaucratie gouvernementale, réduire les réglementations excessives, réduire les dépenses inutiles et restructurer les agences fédérales “ Par ces mots le 47ème président des États-Unis a déclaré ouverte une chasse aux mammouths d’un nouveau genre. Prudemment, il a placé le nouvel organisme en dehors du gouvernement fédéral, ce qui permet d’éviter de demander l’approbation du Congrès.

Après avoir mal accueilli la nomination de Robert Kennedy Jr., le Wall Street Journal a au contraire salué dans un éditorial « la meilleure idée de Trump : lâcher Elon Musk au sein du gouvernement”. Musk s’est targué de pouvoir économiser “ 2000 milliards de dollars “ sur les dépenses fédérales, sans préciser comment il parviendrait à un tel montant, qui correspond à environ 7% du PIB américain, alors que le gouvernement Trump s’est engagé à ne pas tailler dans les gros budgets que sont la Défense, les retraites ou l’assurance-maladie pour les personnes âgées. Les  commentateurs américains s’attendent plutôt à ce qu’il se concentre sur l’assouplissement des régulations fédérales; elles forment ensemble un monstre bureaucratique qui n’a rien à envier à la frénésie régulatrice des technocrates bruxellois. Elon Musk s’est fait applaudir en se moquant d’une réglementation qui l’oblige à préciser que ses fusées, en retombant dans l’océan, ne blesseront pas des baleines. Il va devoir quitter le stade show biz de la politique pour “entrer dans le dur”. Ce n’est pas pour lui faire peur, mais cela d’être explosif et nul ne sait jusqu’où Trump acceptera de le suivre.

Dysfonctionnements, corrections, contradictions, explosion?

Le nouveau gouvernement Trump est un moteur à quatre temps d’un modèle aussi original que risqué. Il dénonce avec lucidité certains des maux dont souffre les État-Unis et s’engage avec courage dans un combat difficile pour les corriger. Mais les puissances qu’il contrarie vont lancer contre lui des missiles qui pourraient le faire exploser, à moins que ce ne soit ses contradictions internes, liées à un attelage de personnalités incontrôlables et à leurs intérêts personnels divergents.

Notre vermiculaire personnel politique va regarder les combats à venir en tremblant. Demain peut-être devra-t-il devra lui aussi mouiller sa chemise s’il ne veut éviter qu’on lui montre la porte.

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