Réélire un baron voleur
Nous voilà bien embêtés. Au cours de la campagne électorale de Trump pour la Présidence États-Uniennes en 2017 nous avons littéralement mitraillé cet agent immobilier devenu producteur de reality show de quolibets, voire d’insultes. Nous le trouvions grossier, vulgaire, plus ou moins malhonnête dans ses affaires personnelles, inculte, incohérent, primaire dans ses raisonnements, complètement imprévisible, brutal dans ses décisions. Bref, du haut de cette pyramide culturelle que nous sommes censés représenter nous Européens nous regardions avec le mépris que donne la distance et la hauteur s’agiter dans les plaines du Far West américain ce cow-boy de casino.
Et aujourd’hui nous sommes probablement une majorité à penser que Trump est finalement un meilleur choix pour les États-Unis que Kamala Harris. Faut-il avaler la couleuvre? Oui et pour de bonnes raisons.
Cohérent et bien entouré
Nous nous sommes en partie trompés sur l’homme. Il n’est pas incohérent, mais motivé par quelques convictions simples et fortes et, à la différence de ses prédécesseurs (et de nos hommes politiques) il est capable de passer à l’action : sur l’immigration, la sécurité, la santé. C’est ce qu’ont voulu croire les électeurs en lui donnant non seulement la majorité des grands électeurs mais aussi la majorité du vote populaire. Ce que l’on qualifie d’État profond, soit la conjonction de puissants intérêts privés, la caste politique vendue au mondialisme libéral et le complexe militaro-industriel, n’a pas cette fois eu raison de la volonté du peuple
Il était apparu brouillon – et sans doute l’était-il – lors de son premier mandat, mais surtout mal entouré, ce qui était évidemment sa faute. Cette fois il est conseillé par une équipe dont on ne trouverait pas l’équivalent en Europe : J.D. Vance (sur lequel je reviendrai), Robert Kennedy Junior, Elon Musk. Comparez-les avec l’écurie Macrounet, les Gabriel Attal, Benjamin Addad, Stéphane Séjourné, l’inénarrable fatuité d’un Bruno Lemaire et pleurez en silence.
Un patriote
Nous ne l’avions peut-être pas compris mais cet homme aime sincèrement son pays, c’est un patriote, mot jadis noble en France mais aujourd’hui stigmatisé par une équipe gouvernementale qui n’aime pas la France mais un phantasme d’Europe fédérale, par une « classe intellectuelle » bobo-wokiste qui non seulement méprise son pays, son roman national et sa langue mais en outre épouse la cause d’une minorité d’immigrants rêvant de détruire la République pour la remplacer par la Charia.
Mais nous avions bien vu que Trump est un homme malhonnête en affaires, qui normalement devrait faire un séjour en prison si la kyrielle de procès dont il est l’objet pouvait aller jusqu’à leur terme sans ingérence du Politique. Ce qui n’arrivera pas, nous sommes bien placés en France pour le comprendre puisque nous jouons à ce jeu depuis des décennies.
La loi du plus fort
Nous avions compris également que cet amateur de négociation avait la religion du rapport de forces. Ce qui est dans le fond quintessentiel au capitalisme : « Vive la concurrence ! Soyons sport, faisons un bras de fer » dit l’athlète au gringalet. Il ne nous avait pas échappé que les États-Unis adorent nouer un rapport gagnant-gagnant quand ils sont en position dominante. La règle du jeu contient une clause implicite, souvent appliquée au cours des décennies de pouvoir démocrate : si la situation ne nous plait pas on vous fera la guerre, directement ou indirectement.
Sur ce point Trump semble avoir une approche différente; il ne veut pas jeter l’argent par les fenêtres dans des guerres ingagnables comme l’Afghanistan hier et l’Ukraine aujourd’hui. Tant mieux. Il lui importe beaucoup en revanche que l’on continue d’acheter de l’armement américain. Il y aura donc encore demain de la place pour des coups fourrés, préliminaires à de juteux contrats. Pour le reste, soyons sans illusion, ce sera la guerre économique, si ouvertement relancée par Clinton et amplifiée par Obama, qui constituera la norme de nos rapports avec les États-Unis.
Moralistes immoraux ou violents pragmatiques
Revenons sur ce qui nous met mal à l’aise à propos de Trump : sa brutalité, sa grossièreté, certains agissements qui pourraient être criminels. Posons-nous à ce sujet deux question : est-ce aussi grave pour nous que pour les Américains ? Ne sont-ils pas plus pragmatiques que nous en acceptant d’élire un homme pas trop propre parce qu’ils pensent qu’il va, enfin, s’attaquer vraiment à certains problèmes de leur pays ? Je crois que nous étions en 2017 à la fois dans le déni de notre propre réalité tout en commettant une erreur d’appréciation sur ce qu’est la société américaine.
En premier lieu, cette moralité revendiquée nous ne l’appliquons pas à notre propre classe politique. Combien de procès ont été intentés ces dernières décennies à nos anciens présidents ou premiers ministres? Combien sont en cours encore aujourd’hui? Est-ce que notre classe politique n’a pas tout fait pour freiner la justice dans ces affaires ? En 2024, la France du Macronistan n’est pas moins versée dans la magouille que la troisième république que décrivait si bien Anatole France il y a environ un siècle.
Nous qui aimons jouer les donneurs de leçons avons-nous moralisé notre vie publique? Certainement pas et encore moins notre vie sociale; entre 2017 et 2024 la France a connu un ensauvagement sans précédent. Nous sommes mal placés pour dénoncer la brutalité chez les autres quand nous voyons chaque semaine des personnes égorgées dans la rue, des femmes - jeunes ou vieilles - violées puis parfois assassinées chez elles ou dans un lieu public.
Les États-Unis, pays sauvage
Concernant notre perception de la violence et ce qu’elle peut être aux USA, nous n’avions pas voulu voir en 2017 à quel point les États-Unis demeurent un pays sauvage. Ce pays s’est forgé dans et par la violence, non pas il y a 1000 ans comme le nôtre mais il y a un peu plus d’une centaine d’années. Ce que nous appelons Démocratie, désignant par là non seulement un système représentatif plus ou moins réussi mais aussi une certaine pacification des rapports sociaux, « ne prend pas » comme on le dit d’une greffe de peau appliquée par un bon chirurgien sur un grand brûlé. Elle s’autogénère au fil des siècles, connaît des avancées et des reculs tout au long du processus. On nous dit que l’Inde est « la plus grande démocratie du monde » ce qui est en partie vrai et en même temps risible quand on pense au sort qui est encore celui des basses castes. De la même façon les Américains, armés de leur logique hollywoodienne, ont-ils prétendu «apporter la Démocratie » à l’Afghanistan et à l’Irak. On a vu le résultat.
Violence en politique
Depuis toujours, la violence des mœurs – détention d’armes, tueries de masse, autodéfense, violences policières, puissance mortifère des narcotraffics - se retrouve à divers degrés dans la vie des affaires et la vie politique américaine.
Pour ce qui est de la vie politique, Trump a déjà fait l’objet de trois tentatives d’assassinat et il n’est pas encore entrée en fonction… Quatre Présidents américains ont été assassinés. Avant la première présidence de Trump, Nixon a dû démissionner à la suite d’une procédure d’impeachment, Clinton a évité la procédure d’impeachment en versant l’équivalent d’un million cinq cent mille euros à Monica Lewinsky qui l’accusait d’abus sexuel. Beaucoup plus tôt dans l’histoire des États-Unis, en 1923, le Président Warren Harding meurt opportunément de mort naturelle avant que n’éclate au grand jour une affaire de malversations financières qui vaudra à son ministre de l’Intérieur de connaitre la prison.
Violence dans les affaires
Aux États-Unis, la vie des affaires est longtemps restée bien plus violente que la vie politique. Le meilleur exemple est celui de la période qui a vu prospérer ceux que l’on a appelé les « barons voleurs ». Reportons-nous au tournant du XXe siècle Les États-Unis connaissent une phase d’expansion ultrarapide au cours de laquelle l’enrichissement de ceux qui gagnent est stupéfiant.
Les noms les plus connus parmi les robber barons : J.P. Morgan, Andrew Carnegie, John Rockefeller, Cornelius Vanderbilt. Source AI.Visions
Les grands bâtisseurs de la richesse américaine sont aussi brutaux que sans scrupules. Le petit monde des Andrew Carnegie, Jay Gould, John D. Rockefeller, J.P. Morgan, Cornelius Vanderbilt est un véritable coupe-gorge. Ils s’affrontent entre eux à coups de spéculations financières, de manipulations comptables éhontées, leurs alliances sont des jeux de dupes. Ils pratiquent le lobbying et la corruption, « possèdent » au sens figuré des hommes politiques du niveau le plus local jusqu’à la Maison Blanche et au sens propre suffisamment de médias pour imposer leur point de vue d’un bout à l’autre du continent.
Les employés qui travaillent sous les ordres de ces géants du capitalisme sont soumis à la loi du Far-West et au Darwinisme social : le plus fort et le plus brutal commande à ceux qui acceptent un salaire de subsistance, les faibles sont rejetés, les contradicteurs sont physiquement éliminés quand cela paraît nécessaire.
Embaucher la moitié de la classe ouvrière pour tuer l’autre moitié
Face à des conditions de travail insupportables même pour l’époque, les grèves se multiplient au cours des décennies 1870-1880 et sont sévèrement réprimées. Marshall Field, propriétaire de grands magasins à Chicago prête ses voitures de livraison pour transporter la police sur les lieux des troubles. La Garde Nationale est mobilisée pour disperser les grévistes, le président du réseau ferroviaire Pennsylvania demande en 1877 la création d’une milice de 75000 hommes pour régler les conflits sociaux et, un peu plus tard, Jay Gould se vante de pouvoir « embaucher la moitié de la classe ouvrière pour tuer l’autre moitié ». Henry Clay Frick, qui dirige l’aciérie de Carnegie a sa police spéciale, les Pinkertons, à la fois détectives antisyndical et briseurs de grève. En 1889-1990 Fricks empêche la création d’un syndicat en affamant les ouvriers (payés principalement en tickets d’alimentation acceptés seulement dans les magasins de l’usine et dont le pouvoir d’achat est à la discrétion du patron) et en faisant tirer sur eux.
Dieu honore les gagnants
Cette violence constitue la trame sur laquelle se sont tissés les États-Unis. Ajoutons à cela l’influence de la réforme protestante qui considère que la réussite matérielle d’un homme est le signe que Dieu l’a reconnu pour ses mérites. D’où l’importance de la parabole des talents dans l’Église méthodiste par exemple. On passera sur les défauts du gagnant (le winner) mais on reprochera à celui qui n’a fait que conserver les talents qu’il a reçu d’être un perdant, un looser, malgré ses bonnes intentions. Aux États-Unis être perçu comme un looser est une véritable condamnation sociale.
Tout cela permet peut-être de mieux comprendre pourquoi les Américains ont pu élire pour la seconde fois un baron voleur.
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