Économie : résister aux abus

Économie - Le temps qu’il fait

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Marc Twain, qui était un grand journaliste, affirmait que la meilleure manière d’écrire un bon article est de recommencer celui que l’on vient d’achever…

Apprendre puis comprendre prend du temps, coucher ses idées sur le papier prend encore du temps. Et quand on arrive au bout de l’exercice on ne serait pas tout à fait honnête avec soi-même si l’on refusait d’admettre que tout cela est encore un peu confus, partiel dans l’information et partial dans le jugement, mal écrit par endroits. Ce qui voulait être le point final d’un texte n’est que le point final de son brouillon.

Reprenons donc. Ce petit blog est là pour ça : énoncer des convictions acquises au fil du temps pour revisiter chacune d’elle, reprendre les arguments qui les portent, les plonger dans le bain de l’actualité pour voir si elles résistent et en quoi elles s’altèrent ou se renforcent.  Ci-dessous, quelques-unes des convictions qui seront « mises en examen »  sur ce blog au fil des semaines et des mois.

Les faits sont têtus mais les convictions des économistes le sont bien plus encore. Passion, pulsion, idées reçues, croyances en somme, ont toujours raison de la « science » des économistes et des hommes politiques qui mettent en pratique leurs idées. Si la Raison et les mathématiques sont bien les outils de la recherche en Économie, leurs conclusions servent surtout à fournir au discours public les arguments qui permettent de justifier un certain modèle d’économie politique.

Il n’y a pas de modèle économique qui ne serve in fine les intérêts de ceux qui l’ont conçu. Depuis les origines ce sont les détenteurs du capital – disons les riches, pour faire simple – qui conçoivent l’Économie et l’organisent en un système propre à protéger leurs acquis et à favoriser leur enrichissement.

« La part du pauvre » mérite bien son nom. Dans notre système économique la part de la création de richesse laissée aux pauvres a toujours relevé d’un calcul de rentabilité (le salaire de subsistance), de concessions concédées pour préserver la paix sociale et marginalement de préoccupations d’ordre éthique ou moral.

L’abus de position dominante n’est pas tolérable. On ne saurait reprocher à quelqu’un de défendre ses intérêts ni à quiconque de vouloir améliorer sa situation matérielle. Si la Loi sanctionne les comportements illégaux, l’abus de pouvoir est faiblement poursuivi dans le domaine économique. Il n’en reste pas moins inacceptable.

Les déséquilibres s’aggravent à l’ère néo-libérale. Le poids relatif des trois facteurs mentionnés ci-dessus a changé au cours de l’Histoire et particulièrement à partir des années 80. Les détenteurs du capital se sont alors affranchis des préoccupations éthiques, tolérant de moins en moins ce que l’on peut ranger sous l’étiquette dépenses sociales et revendiquant une part croissante de la création de richesse.

Les défenseurs des faibles ont rallié les plus forts. Dans cette période, les forces politiques ou sociales censées représenter les intérêts de ceux qui ne détiennent peu ou pas de capital se sont progressivement ralliées au modèle économique libéral, accompagnant sa dérive vers le néo-libéralisme.

Les risques d’une course à la richesse sans contrôle. Le bilan de cette dérive est resplendissant pour les plus riches et sombre pour les autres, tandis que des problèmes graves s’accumulent. Dans plusieurs domaines nous sommes au bord du gouffre : il devient urgent d’empêcher les « premiers de cordée » de nous faire faire encore un pas en avant.

Le néo-libéralisme, capitalisme féroce, est fils de l’ordolibéralisme, capitalisme teutonique. Les pulsions qui animent le néo-libéralisme dans sa forme la plus frustre (nous verrons qu’elle est américano-autrichienne) sont assez faciles à repérer. Mais elles sont largement structurées par l’ordolibéralisme allemand, né dans les années 30 et toujours mal connu en France. C’est pourtant lui qui a inspiré des organisations comme le FMI, la Banque Mondiale et l’Union Européenne.

Le projet d’avenir du capitalisme : faire de la démocratie une coquille vide, « libérer » l’individu pour favoriser la lutte de tous contre tous, décérébrer le plus grand nombre. Les hommes les plus riches du monde et les dirigeants de la sphère financière dans ses différentes incarnations ont un projet pour l’humanité. Ils veulent abolir la souveraineté des États et la volonté des peuples pour soumettre l’une et l’autre à l’autorité d’une gouvernance de préférence non élue. Car les démocraties et les peuples se montrent trop souvent nuisibles aux affaires.

 Entrer en résistance, naviguer entre les icebergs

Les peuples sont aujourd’hui moins naïfs, plus aptes à voir qui sont les marionnettes et qui sont ceux qui en tirent les ficelles. Le néo-capitalisme version 21ème siècle parviendra-t-il à s’imposer ? Probablement, si on laisse les choses aller leur train. Mais nous pourrions éviter les icebergs et modifier la trajectoire en entrant en résistance, non pour remplacer le capitalisme par l’une ou l’autre des utopies qui circulent mais pour en corriger les abus.

J’aimerais n’être un prophète de malheur que dans le sens que donne à cette expression Jean-Pierre Dupuy : « Le paradoxe du prophète de malheur est qu’il annonce le malheur à venir pour que ceux qui l’écoutent trouvent l’énergie et l’intelligence de faire que ce malheur ne se produise pas. Il n’est donc bon prophète que pour autant qu’il est un faux prophète, dont la parole est démentie par les effets mêmes qu’elle produit dans le monde »*.

 

 

*Entrevue donnée au journal Le Monde le 4 juillet 2020.

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