08 mai 1945
Le 30 avril 1945, alors qu’Hitler vient de se suicider dans son bunker, l’armée soviétique donne l’assaut au Reichstag, solidement défendu par des unités allemandes. Dans la soirée, les Russes hissent le drapeau rouge sur le toit du Reichstag. La photo ci-dessus est un remake de l’évènement, mis en scène et photographié le 2 mai par les services de propagande soviétique.
Ces jours-ci, les medias de propagande du Macronistan et de l’Europistan mettent volontiers en avant cette mise en scène, plutôt que de nous expliquer comment et à quel prix les armées de Moscou ont vaincu les meilleures unités de l’armée allemande, libéré les camps de concentrations et conquis Berlin.
Une nouvelle fois, l’Occident a décidé, pour des raisons de politique intérieure, que la Russie a la lèpre. Comme le montre si bien Guy Mettan, journaliste suisse et ancien rédacteur en chef de La Tribune de Genève, cela fait 1000 ans que cela dure (lire Russie-Occident, une guerre de mille ans. Éditions des Syrtes, 2015).
En conséquence, la commémoration du 8 mai, jour de la capitulation de l’Allemagne, sera célébrée à Moscou sans la présence de ceux qui furent les alliés de l’URSS dans la guerre contre le Nazisme. La presse française rappellera les menaces vagues de Zélensky concernant la sécurité des chefs d’État qui voudraient y assister, alors que - selon elle - ce rat aux yeux rouges qu’est Poutine menace de dévorer l’Europe toute entière. L’amnésie, ça se cultive. Il y a pour cela l’USAID (un peu empêché ces temps-ci) et les medias pilotés par le petit Macron et la keizérine Ursula von der Leyen.
Pour ceux qui pensent que la mémoire a une certaine importance, je me permets de citer un passage du livre d’Éric Branca, 300 jours, 13 juillet 1944-9 mai 1945 ; dix mois pour en finir avec Hitler (2025, Perrin) dans lequel il rappelle les faits. Je vous laisse découvrir dans son livre sa réflexion sur les moyens de propagande - ou soft power - mis en place pour amener les populations occidentales à croire que la victoire contre l’Allemagne nazie est essentiellement dûe aux Américains.
1 mort américain pour 65 morts soviétiques
“Mais s’il est un sujet - pourtant simple et, osons-le mot « basique » - à propos duquel la connaissance commune a clairement et massivement régressé, alors que les données sont accessibles sans restriction, c’est celui du sacrifice consenti par les principaux alliés dans la libération de l’Europe!
Ce paradoxe est d'autant plus frappant que la Seconde Guerre mondiale est la période la plus étudiée dans l’enseignement secondaire, sans compter les livres qui lui sont consacrés et les productions audiovisuelles - fictions ou documentaires - auxquelles elle sert de cadre. C’est dire si, à la question de savoir qui, des Américains ou des Russes, a fourni le plus grand effort humain pour libérer le continent de l'occupation nazie, la réponse ne devrait même pas susciter de débat puisque les ordres de grandeur sont sans appel : sur les 48 millions de morts provoqués par la guerre en Europe, l'Union soviétique en a perdu 25 millions (15, 8 millions de civils/9,2 millions de militaires] et les États-Unis…140 000. Entre l’invasion de l'URSS par Hitler (22 juin 1941) et le 8 mai 1945, ses pertes représentent 73,5% de toutes les pertes alliées (34 millions). Et celles des États-Unis seulement... 0,4 % !
Et pourtant ! Lorsqu'en 2015 l’IFOP demande aux Français quel pays a le plus «contribué à la défaite de l’Allemagne». 54 % des personnes interrogées répondent : les États-Unis… Et 23 % seulement l’Union soviétique, juste devant l'Angleterre (18%) ! Détail important : c’est chez les plus jeunes que l’option américaine s'impose le plus clairement puisque les 18-35 ans sont 60 % à estimer que ce sont les États-Unis qui ont le plus contribué à la victoire (contre 19% pour les Russes et 17% pour les Anglais), tandis que l’écart d’appréciation est moindre chez les plus de 65ans (45% choisissent les États-Unis ; 26 % l’Union soviétique).
Ajoutons que cette illusion d’optique n’est pas proprement française, mais occidentale lato sensu : quand, toujours en 2015, l’institut britannique ICM posa la même question dans chaque pays de l'Union européenne, le résultat fut partout identique à une exception près (l'Angleterre, où 46 % des personnes interrogées estimaient que leur propre pays avait été le principal contributeur de la victoire alliée).
Certes, la question est complexe, et peut suggérer la prise en compte d’autres critères que l’engagement humain, par exemple l’aide en matériel consentie par chaque allié... Mais comment imaginer que les « sondés », même en passant par profils et pertes les victimes civiles - plus nombreuses, répétons-le, que les militaires tués -, puissent considérer comme secondaires les sacrifices consentis sur le champ de bataille tant ceux-ci furent spectaculaires et leurs effets déterminants ? Comment concevoir que, dans l’opinion française, celui d’un seul soldat américain puisse être considéré comme plus efficient que celui de 65 soldats russes, puisque tel est le rapport des tués sur les champs de bataille européens"!
Le moins qu'on puisse dire est qu’en 1945, l'opinion française était plus objective. Quand, tout juste après la capitulation allemande, l’IFOP (créé en 1938 par Jean Stoetzel) posa la même question aux Français, 57 % des personnes interrogées voyaient encore dans l’Union soviétique le principal artisan de la défaite allemande, contre 20 % en faveur des États-Unis et 12 % de la Grande-Bretagne. C’est sans doute à l’égard de cette dernière que l’opinion se montre alors la plus injuste, car on se demande bien comment les Américains auraient pu débarquer en Normandie et libérer la France si l’Angleterre n’avait pas tenu seule face à l’Allemagne en 1940-1941 et ainsi servi de base logistique à l’opération Overlord…
Il n’en reste pas moins qu’en l’espace de trois générations, le pays qui, pour venir à bout du III ème Reich, a perdu 15 % de sa Population, s'est trouvé chassé de la mémoire collective au profit d’un autre qui n'en sacrifia que 0,3 %, même s’il servit d’arsenal à tous les ennemis du Reich… Un apport dont l'URSS profita assurément puisqu’elle reçut 23 % de l'aide globale consentie par les États-Unis à ses alliés, mais qui ne saurait masquer le concours décisif apporté à la victoire finale par les « offensives géantes » soviétiques de 1944 et 1945 (en particulier Bagration et Vistule-Oder), qui non seulement fixèrent à l’Est et détruisirent les meilleures unités de la Wehrmacht, mais, comme l’a démontré Jean Lopez, attestèrent la supériorité de « l’art opératif » soviétique sur un savoir-faire germanique limité à la guerre éclair et anglo-saxon inséparable du Carpet bombing.
Car si c’est bien la prise en étau de l'Allemagne par les Anglo-Saxons à l’Ouest et les Soviétiques à l’Est qui décida, en quelque trois cents jours, de l’issue du conflit, c’est en Europe orientale et nulle part ailleurs que la machine de guerre allemande fut détruite positivement et définitivement, alors qu’à l’Ouest, elle ne fut vaincue que par défaut - son absence totale de couverture aérienne a et une pénurie croissante de carburant décidant du sort des armes infiniment plus que la tactique alliée. Ce ne sont pas les bombardements stratégiques de l’US Air Force et de la RAF qui mirent à genoux l’industrie de guerre allemande ; c’est la raréfaction puis l'épuisement de ses sources d’énergie après que l'Armée rouge eut conquis les puits de pétrole roumains et hongrois puis le charbon de Haute-Silésie, comme Speer l’annonçait à Hitler dans son mémorandum du 31 janvier 1945.
Certes, on ne refait pas l’histoire avec des « si », mais au vu des difficultés rencontrées par les Anglo-Saxons dans les premières semaines du Débarquement, il n’est pas difficile d’imaginer ce qui se serait passé en Normandie dans l'hypothèse où les divisions les plus performantes et les plus aguerries de la Wehrmacht n’avaient pas été broyées, au même moment, par l'opération Bagration.
Or, comme on l’a vu, ce ne sont pas seulement les meilleures unités allemandes que les Soviétiques ont hachées menu, mais les plus nombreuses : les deux tiers des tués allemands l’ont été sur le front de l’Est et 50 % d'entre eux sont tombés dans les derniers mois du conflit, avec des maxima atteints entre janvier et avril, à raison de 10 000 morts par jour!”