Howard Hughes l’avenir d’Elon Musk?

Elon Musk est en phase ascendante. Il étonne la planète entière, suscitant autant d’admiration que de jalousie et de dénigrement. Je lui trouve plus d’un point commun avec un milliardaire américain qui a lui aussi connu une ascension fulgurante, Howard Hughes. On a oublié aujourd’hui celui qui fût un monstre sacré avant de devenir un reclus bizarre et passablement dérangé. Hugues avait fait rêver l’Amérique des années 30 aux années 1970; tour à tour et en même temps playboy, milliardaire, génial entrepreneur aéronautique et pilier d’Hollywood. Les gens qui ont rencontré Musk reconnaissent qu’il est mentalement un peu secoué. S’il n’est pas dépressif comme Hughes, il vit comme lui à 300 à l’heure, donc la probabilité d’une sortie de route augmente avec le temps.

Je reprends ici un article écrit pour Le Monde  (qui était alors un grand journal) le lendemain de sa mort. Le papier, commandé à 9h du matin pour être remis avant 11h, tient plus de l’acrobatie journalistique que l’exercice nécrologique soigneusement préparé. Ces quelque feuillets ont donc l’excuse d’avoir été mitraillés plutôt qu’écrits. Mon père, qui n’aimait pas Le Monde, prétendait que le journalisme est un métier de « sauteur ». Il avait peut-être raison, mais j’ai bien aimé cette matinée passée avec Monsieur Hugues.

L’avion piloté par Hugues après l’accident

Les morts d’Howard Hugues

Le milliardaire Howard Hughes est mort le lundi 5 avril (1976), alors qu’il était transporté par avion de sa résidence d’Acapulco ver un hôpital d’Houston au Texas. Il était âgé de soixante-dix ans et avait entrepris ce voyage pour subir un examen médical. M. Hughes vivait depuis près de vingt ans dans une réclusion volontaire, sévèrement protégée.

On peut presque dire qu’Howard Hughes et mort deux fois. À quarante-deux ans, en 1948, un accident d’avion le laisse, ainsi que le décrivent les chroniqueurs de l’époque, « la colonne vertébrale brisée et un poumon atteint, vivant sous une tente à oxygène les moments pathétiques d’un scénario dont il aurait pu être l’auteur … » Pour quelle mystérieuse raison, ce personnage, qui était alors la coqueluche des gazettes, a-t-il ainsi disparu après sa guérison, fuyant avec un succès complet les hommes en général et les photographes en particulier? On ne le saura peut-être jamais.

Il n’était pas né sur la paille d’un ranch et n ‘avait pas bâti sa fortune à partir de rien. Hughes occupait une position intermédiaire dans la galerie des richissimes : entre les « barons voleurs » qui édifièrent leur fortune sur l’injustice et le cynisme et les Gatsby, leurs héritiers rongés par le cancer du luxe.

Le père d’Howard Hughes avait inventé un procédé moderne de forage qu’il commercialisa avec succès, laissant à sa mort une entreprise dynamique et 500 000 dollars à son fils âgé de dix-neuf ans.

L’ambition et la gloire

Le jeune Hughes se révèle d’une énergie phénoménale. En quelques mois, il achète les deux cinquièmes des actions qui lui manquaient pour contrôler totalement la société dont il vient d’hériter. Il déménage et s’installe à Hollywood, où il arrive, en chaussures de tennis (une manie qui ne le quittera jamais), confiant t à un de ses adjoints : « Je veux être le plus grand aviateur du monde, le plus grand producteur du monde et l’homme le plus riche du monde. »

Il obtient un triomphe en produisant un film-épopée sur la guerre aérienne, intitulé Les anges de l’enfer, et laisse aux cinéphiles d’aujourd’hui une belle histoire policière, Scarface. Avec Le Hors-la-loi, il se heurte au puritanisme de la censure, troublée par les formes somptueuses de Jane Russell. A cette époque-là, Hughes est un playboy qui peut descendre Sunset Boulevard au bras de Ginger Rogers, Katharine Hepburn ou Ava Gardner.

Mais bientôt le cinéma l’intéresse moins que l’aviation. Sans délaisser ses premières affaires, il fonde en 1934, à vingt-neuf ans, sa propre compagnie aérienne, la Hughes Aicraft Co et devient un des meilleurs pilotes de son époque. A bord de ses avions, il pulvérise les records, établissant notamment en 1938, le record absolu du tour du monde en avion en 91h 14 minutes et 28 secondes.

Hugues battit le record du monde avec ce type d’appareil

En quelques années, à coups de millions et d’audace, il se place dans les tout premiers rangs de l’aéronautique mondiale, à la fois comme constructeur et comme transporteur. Il crée la T.W.A. qui sous son impulsion obtiendra la première ligne transatlantique. A côté des appareils de série, il construit le plus grand avion de tous les temps, le KH 1, un hydravion géant qui pouvait contenir 200 passagers de plus que nos modernes Jumbo Jets, dont la queue était haute comme un immeuble de huit étages, mais qui ne volera qu’environ une minute, piloté par Hughes lui-même.

Hughes continuera d’agrandir et de diversifier son empire, se lançant parmi les premiers dans la technologie électronique, puis étendant sa mainmise sur l’immobilier, mettant l’ État du Nevada sous sa coupe, achetant des dizaines d’hôtels et de salles de jeux aux États-Unis et dans les Caraïbes.

Le temps des revers

A partir de la seconde moitié des années 50 commence pour Hughes le temps des revers. Échecs cousus d’or cependant : lorsqu’il doit  « brader » quelques-unes de ses affaires -  sa compagnie cinématographique, ses parts dans la T.W.A., ses actions dans la société héritée de son père - il réalise encore des bénéfices considérables.

Au fil des années celui qui est parvenu à devenir un des trois hommes les plus riches du monde (sa fortune, difficile à évaluer, approche les 2 milliards de dollars de l’époque), a connu une étrange transformation. L’autocrate de vingt-huit ans qui voulait tout régenter sur les plateaux d’Hollywood est devenu un hypocondriaque soupçonneux, obsédé par le goût du secret et un singulier besoin de propreté (il classait les gens en « dégoûtants », « sales », « modérément sales » et « modérément propres »). Après deux mariages malheureux, il vit seul, entouré de quelques secrétaires, membres de l’Église mormone, dont il admire l’austérité et le puritanisme.

L’homme invisible

Ce PDG, qui n’était plus guère qu’une voix au téléphone pour l’immense majorité de ses collaborateurs, parachève sa « disparition » en 1970, lorsqu’il quitte Las Vegas pour établir son quartier général à Nassau aux Bahamas. La légende d’Howard Hughes s’assombrit peu à peu, en même temps que tout ce qui le concerne devient invérifiable.

Des journalistes, qui ont recueilli à son départ de La Vegas un témoignage selon lequel il aurait « des ongles de 20 centimètres de long », le traquent à travers les Caraïbes et l’Amérique Centrale, où Hughes loue pour quelques mois plusieurs étages d’hôtels qui lui appartiennent. En 1972, l’écrivain Clifford Irving vend pour 650 000 dollars une autobiographie fabriquée de Hughes. Impossible, dans tout ce qui se raconte sur lui, de distinguer le vrai du faux.

C’est un peu la même chose pour ce qui concerne les démêlés entre Hughes et la justice, devant laquelle il refuse obstinément de se présenter. Les procès dans lesquels il se trouve impliqué révèlent que le milliardaire traite souvent ses affaires à la limite de la légalité, avec une dureté implacable. Des enquêtes récentes sur la CIA ont d’autre part mis en lumière les liens étroits que Hughes entretenait avec les services spéciaux américains. En 1973, Hughes finança l’opération Jennifer, par laquelle la CIA entendait récupérer un sous-marin soviétique perdu dans le Pacifique. On retrouve aussi sa trace dans divers projets anti-cubains élaborés par l’Agence et le Département d’État.

Le pilote de l’appareil qui a transporté Howard Hughes mourant a vu « un homme émacié, très, très pâle », qui a « bougé les lèvres une seule fois », sans qu’il ait pu comprendre ce qu’il disait.



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